Publié le 21 juin 2025 | Par Rita El Masmoudi
Dans le cadre du colloque international organisé les 20 et 21 juin par la Commission provisoire de régulation du secteur de la presse et de l’édition, réunissant 35 journalistes, experts et communicants venus d’Europe, du monde arabe, d’Afrique et d’Amérique latine, la journaliste espagnole Patricia Majidi a livré un témoignage bouleversant sur son enquête de terrain menée entre les camps de Tindouf et la ville de Laâyoune.
« Bonjour, je m’appelle Patricia Majidi. Comme mon nom l’indique, j’ai des origines arabes. Mon père m’a toujours appris que porter ce nom est un honneur, et que le mensonge le déshonore. »
C’est ainsi que débute le récit sincère d’une journaliste indépendante, partie en 2018, seule et sans protocole officiel, découvrir par elle-même la réalité des camps de réfugiés à Tindouf. Un voyage déclenché par une simple question : « Connais-tu vraiment la situation à Tindouf ? »
Un voyage sous surveillance
Accueillie par la représentation du Polisario au Pays Basque, Patricia Majidi atterrit à l’aéroport militaire de Tindouf. Dès les premières heures, elle ressent une atmosphère pesante, encadrée, où le silence masque un système de contrôle omniprésent. Un chauffeur imposé, des déplacements surveillés, et l’interdiction d’accéder librement aux personnes ou lieux de son choix.
Elle relate notamment un épisode où elle fut retenue pendant trois jours pour assister à un mariage, alors qu’elle souhaitait se rendre au Croissant-Rouge. Lorsque, après insistance, elle parvient enfin à s’y rendre, la cargaison d’aides humanitaires qu’elle cherchait avait disparu, sans explication.
Le commerce de la misère
Dans son documentaire « De Tindouf à Laâyoune, la route de la dignité », la journaliste révèle un constat alarmant : les produits de première nécessité offerts par l’Espagne et d’autres pays — médicaments, nourriture, eau — sont revendus aux réfugiés. Elle découvre un système de distribution opaque, où même les réservoirs d’eau financés par l’Union européenne ne sont pas accessibles gratuitement.
Elle évoque également un hôpital sans médicaments, où le directeur — parent d’un responsable du Polisario — possède sa propre pharmacie privée.
Une parole bâillonnée
Malgré les tentatives de l’empêcher de mener son travail, elle parvient à interviewer un Sahraoui dissident, dont le père est tombé pendant la guerre contre le Maroc. Traqué par le Polisario, cet homme raconte les représailles subies après avoir osé adresser une plainte. Patricia Majidi évoque également le tristement célèbre « centre pénitentiaire Errachid », véritable prison secrète utilisée par le Polisario pour faire taire les voix discordantes.
Un contraste saisissant : Laâyoune
Après cinq jours passés à Tindouf, elle décide de se rendre à Laâyoune, au Sahara marocain. Là, elle est frappée par le contraste. « J’étais à Laâyoune, alors que je venais de quitter… Laâyoune. Les mêmes noms sont utilisés à Tindouf pour désigner les camps. Une confusion volontaire, destinée à semer le doute. »
À son arrivée, elle découvre des infrastructures modernes, des enseignes internationales comme McDonald’s, une vie urbaine paisible. Elle assiste à une scène spontanée entre deux femmes sahraouies et deux femmes marocaines, qui s’embrassent chaleureusement : une image en total décalage avec le récit de conflit diffusé en Espagne.
Elle rencontre des élus locaux, tous sahraouis, qui connaissent leur lignée tribale et se disent pleinement intégrés dans le tissu politique et social du Royaume. « Cela a détruit tous les clichés que je portais depuis des années. »
Le témoignage du fondateur du Polisario
À Laâyoune, elle rencontre également le poète Bachir Dkhil, l’un des fondateurs du Polisario. C’est lui qui, au début des années 70, a proposé le nom de « Front Polisario », plus court et plus marquant que la longue appellation initiale. Désabusé, il lui confie aujourd’hui : « Le Polisario est devenu une entreprise privée financée par des fonds publics espagnols. »
Il évoque des valises d’argent transportées sans contrôle, sans supervision bancaire, et finit par être emprisonné lorsqu’il décide de rompre avec l’organisation.
Un appel à la conscience journalistique
À son retour en Espagne, Patricia Majidi subit des menaces et des campagnes de harcèlement, notamment lors de la projection de son film à Vitoria. « Ils m’ont rappelé l’époque sombre de l’ETA », dit-elle. Mais elle refuse de se taire.
Son cri du cœur est clair : « Le véritable ennemi du Polisario, ce sont les Sahraouis qui refusent de lui prêter allégeance. Les réfugiés sont utilisés comme otages, comme caution pour réclamer des fonds. »
Elle s’interroge aussi sur le regard biaisé porté par certains médias espagnols sur le Maroc : « Pourquoi nous apprend-on à haïr ce pays ? »
L’hospitalité marocaine : une révélation
Elle raconte avec émotion avoir assisté, un vendredi, à la préparation du couscous. « Ce jour sacré, les familles cuisinent davantage pour partager avec ceux qui n’ont rien. » Une scène de solidarité simple, mais profondément marquante, comparée à l’individualisme qu’elle observe souvent en Europe.
Conclusion : marcher seul vers la vérité
Patricia Majidi conclut son témoignage par un message fort à la profession journalistique : « N’acceptez jamais qu’on vous impose un récit. Allez voir par vous-mêmes. C’est seulement en marchant sans guide, sans escorte, que l’on découvre la vérité. »
Elle invite les journalistes à regarder son documentaire « De Tindouf à Laâyoune : sur la route de la dignité », fruit d’un travail personnel, engagé, et surtout, profondément humain.